Shohei Ohtani : le Japonais qui va sauver le baseball - L'Equipe explore (2024)

Ils sont plus de vingt, dont Saito, à se demander tous les matins ce qu’ils vont bien pouvoir écrire. Saito documente l’odyssée Ohtani pour le Nikkan Sports, l’un des plus grands journaux du Japon.

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«Shohei a changé ma vie, raconte-t-il, un peu ému. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit ce super héros et je suis vraiment chanceux. Ça n’a pas de prix.» Saito a laissé femme et enfants au Japon pour suivre le champion partout où il va. «C’est éprouvant, dit-il, car le Japon espère tout le temps de ses nouvelles. Et ça ne fait qu’empirer au fil des années!»

Qu’est-ce que Shohei Ohtani a mangé ce matin? Se sent-il bien? Qui est cette épouse qu’il n’avait jamais voulu montrer? «Le Japon se demande qui est l’heureuse élue», glisse l’ambassadeur en France, quelques jours avant que la fièvre populaire, et les enquêtes d’amateurs, ne pousse le jeune marié à dévoiler l’identité de sa compagne, une Japonaise, ancienne pro de basket. «Mais il est habitué, poursuit Saito. Il vit avec ça depuis qu’il est tout jeune.»

À 18 ans, il n’était qu’un joueur universitaire quand un lancer supersonique à 100 miles de l’heure, 160 km/h, le consacrait prodige auprès du grand public. Son talent avait déjà sauté aux yeux des spécialistes lors des tournois de jeunes qui révèlent les futurs grands.

Il était si différent et si unique, écrivaient-ils sur leurs rapports. «Avec un cerveau fait pour réussir», avait écrit un autre. En première année de lycée, à 15 ans, Shohei pose ses ambitions sur papier. Il veut être drafté par huit équipes américaines, un chiffre énorme, et pense devoir remplir plusieurs critères.

Il détaille huit catégories — physique, précision, vitesse de balle, effets, mentalité, chance, contrôle et humanité — et précise des sous-parties. «Être digne d’être aimé», peut-on lire sur ce brouillon intime, et d’autres encore: «Ne pas alterner joie et chagrin»; «Tête froide et passion»; «Être poli» ; «Ne pas se laisser influencer»; «Ne pas laisser de déchets»; «Lire des livres»; «Prendre du poids»; «Se débarrasser des mauvais sentiments»; «Respecter les arbitres»; «Faire attention à son corps». «Personne n’aurait dû voir ça, dira-t-il plus tard, plein de timidité qui le caractérise tant. Ça aurait dû rester entre moi et moi-même.»

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Une fois accompli la plupart de ses désirs, à 18 ans, le voilà fin prêt pour la grande aventure américaine. Il est coté pour la draft et fera sûrement un bon lanceur. «Mais une équipe, les Nippon Ham Fighters, lit-on dans les archives de la presse japonaise, a pressenti le coup. Elle lui propose d’être lanceur et frappeur.» Un rêve pour Shohei, qui refuse d’aller aux États-Unis. Il ira, un jour. Mais pas tout de suite.

Après quatre années de succès, de 2013 à 2017, à parcourir le Japon, battre des records (il détient notamment le lancer le plus rapide de l’histoire du pays) et vivre à la ville, à Sapporo, Ohtani décide d’emprunter la route qui lui est destinée, à une condition: continuer d’être un «two way» et marquer l’histoire. Son «feeling» le conduira aux Angels. «J’ai vraiment senti que c’était le début d’une grande histoire», explique-t-il aujourd’hui, après avoir connu tant de travers nés de cet exil.

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Joseph Nakajima
jeune athlète olympique japonais vivant lui aussi à Los Angeles

«Quand tu arrives ici, c’est bouleversant. C’est beaucoup de monde, une ville énorme, de l’argot que tu ne comprends pas. C’est dur de créer du lien.»

Les débuts sont horribles pour Ohtani, l’Amérique doute de sa double casquette et le rythme est différent: le batteur-lanceur ne bénéficie pas de traitement de faveur et on l’oblige à du repos et des restrictions sur son jeu, comme le nombre de lancers à l’entraînement. «Il a déjà pensé à arrêter de faire les deux», se rappelle Saito, du Nikkan Sports. «On a fini par lui dire de faire sa vie, car on sentait qu’il en avait besoin, finit-on par expliquer du côté des Angels. Et c’était parti, il est devenu inarrêtable!»

Trois ans après son arrivée, en 2021, Ohtani, désormais libre dans son jeu et sa tête, frappe 46 home runs et dégoûte balle en main les frappeurs adverses. «L’homme de vitruve du baseball», le consacre The New Yorker après son titre de MVP de la saison, lui qui peut désormais organiser son emploi du temps. «Entraîne-toi jusqu’à la mort» est un proverbe bien ancré dans la culture baseball du Japon et forcément dans son esprit.

Pour lancer et frapper, le Japonais s’impose des séances de martien puis va dormir, jusqu’à quatorze heures par jour.

Son temps libre se limite à son chien, le jeu mobile Clash Royale, un peu de cuisine, entre autres les fameuses omelettes japonaises. Puis il retourne au baseball. Ohtani utilise des robots basés sur l’intelligence artificielle pour reproduire chaque lanceur de la ligue américaine.

«Il est très méticuleux», ajoute Saito, qui fait référence à ce stakhanovisme et ce souci du détail jusqu’à la salle de musculation et les routines de lancers et de frappes, si différentes. «Le sauveur du baseball a le corps d'un super-héros Marvel et la joie d’un enfant», s’épancha un jour le magazine TIME, après l’avoir sacré athlète de l’année, un titre prestigieux, jurant qu’il serait celui qui permettrait à la discipline de se relancer. Car le baseball, malgré ses stars et ses contrats mirobolants, subit une irrémédiable perte de vitesse.

Mathias lacombe

«Ce n’est pas un sport cool dans l’esprit des jeunes, même si c’est très apprécié des personnes âgées et des enfants. Les gens de mon âge parlent plus de foot américain ou de combat.»

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En quelques années, les audiences ont baissé de moitié aux États-Unis et les stades se vident, ce qui a obligé la ligue a
à apporter des modifications au déroulé des rencontres, plus rapides désormais, et à changer le story-telling. Ohtani en est l’attraction principale.

Un éditorialiste de la ligue

«Pour le baseball dans son état actuel, un joueur comme lui, c’est la meilleure chose que ce sport ait pu avoir dans son histoire»

Les commentateurs accompagnent le phénomène avec lyrisme. Sur un home run qui dépasse la tribune, l’un d’eux lance en direct: «Protégez-vous, une roquette de Shohei Ohtani arrive!» Un autre: «Et il l’envoie tout droit sur la Lune! SHO-TIME!»

«Les gens veulent le voir», insiste Lacombe. Ainsi, il est celui qui «rend le jeu plus fun», parole de GQ, et qui doit le sortir de la léthargie, malgré une économie toujours florissante et des droits télévisuels démesurés. Pour son premier match avec les Dodgers, les billets ont connu une inflation monumentale, plus de 500 dollars l'unité, et la ligue s’est vue forcée de signer un contrat avec une agence japonaise de voyage pour gérer la demande. «À la fois, il nourrit beaucoup de fantasmes», concède Saito.

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Pour les Américains, c’est un être spécial, étrange car secret, qui ne parle anglais qu’au travers d’un interprète ; lequel lui a valu la première grosse polémique de sa carrière (voir encadré). «Je ne veux pas me faire mal comprendre, surtout sur le second degré», dit Ohtani sur cette volonté de ne jamais communiquer en anglais en public.

Stephen A. Smith, le plus célèbre des chroniqueurs de la télé américaine, dut d’ailleurs lui présenter ses excuses après une diatribe en direct. «Je ne pense pas, disait-il, qu'il soit utile que le visage numéro un du baseball soit quelqu’un qui a besoin d’un interprète et qu’on ne comprenne pas ce qu’il dit.»

Pour les Japonais, à l’inverse, Ohtani est le gendre idéal. «Il ne se soucie pas trop des normes sociales, en comparaison à d’autres gens célèbres, explique l’athlète Joseph Nakajima. La notoriété, les filles, l’argent, ça ne l’intéresse pas.»

Il a d’ailleurs décidé de ne toucher que deux millions par an sur son contrat mirobolant, favorisant le salary cap de son équipe, et empochera le reste à l’issue de sa carrière.

Au voleur !

Les aventures immaculées de Shohei Ohtani avaient tout pour durer, lui l’être à la fois réservé et brillant, loin de toute polémique. La complicité qu’il affichait avec Ippei Mizuhara, son interprète et «ami», était d’ailleurs un argument de plus: peu importe votre statut social, Ohtani se comportera avec vous comme avec les puissants. Mais, un matin de mars, les Dodgers ont annoncé le licenciement de Mizuhara. Les avocats d’Ohtani, après la publication d’enquêtes journalistiques, ont informé que celui-ci aurait dérobé plus de 4 millions de dollars au joueur pour rembourser des dettes de jeu auprès de bookmakers illégaux. «Je suis triste et choqué de voir que quelqu'un en qui j'avais confiance a agi de la sorte», a confié Ohtani devant la presse, pendant que la ligue de baseball a annoncé l’ouverture d’investigations. Elles doivent déterminer les conditions exactes du vol. Mizuhara, de son côté, a annoncé, malgré plusieurs changements de version, qu’Ohtani n’était en rien concerné ni au courant de ses activités de parieur - la presse américaine a rapporté que les premiers éléments de l'enquête vont dans ce sens. L’affaire a bien sûr secoué le monde du baseball, qui n’en est pas à sa première en matière de paris sportifs. Pete Rose, légende du jeu, avait il y a longtemps été banni à vie pour avoir misé sur l’équipe qu’il entraînait. Ohtani, depuis, a fait appel à un autre interprète et ses premiers matches avec les Dodgers, avec plusieurs home runs, sont salués par les fans et les médias.

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Maman travaille encore, et dit «que cela ne fait pas sens de lui demander de l’argent juste car il est bien payé».

«Tout est très pur chez lui, pas arrogant, jure l’ambassadeur du Japon en France. Il est jeune, il est beau (rires). Il a un caractère très gentil. Tous les Japonais aiment vraiment Shohei Ohtani.» Qui se soucient de ses sourires, ses petites phrases et ses aventures sur les terrains du monde.

«Être une icône, c’est dur à accepter, vous ne faites plus les choses de votre vie d’avant, convient de son côté Kotaro Matsushima, meilleur joueur japonais de rugby, passé par Clermont-Ferrand. Shohei, lui, accepte cet environnement et mène une vie normale. Cette attitude attire encore plus de gens. »

Lui impose juste des limites. «Si quelque chose le dérange? Qu’on creuse sa vie privée», explique Saito, le journaliste qui le croise tous les jours. «Un jour, raconte-t-il, je lui demande ce qu’il aime lire. Il ne voulait pas répondre, car il pensait que quelqu’un pourrait lire dans son esprit, ou s’imaginer ce qu’il est, à travers le livre qu’il lisait. J’ai juste réussi à savoir qu’il lisait "The book of five rings", une histoire japonaise qui ressemble à L’Art de la guerre.»

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Shohei, pour s’assurer de bien en comprendre le sens, l’a lu une dizaine de fois. Joe Maddon, un ancien entraîneur, sourit de son côté quand lui revient à l’esprit ce timbre de voix doux et saccadé. Des coéquipiers insistent pour dire qu’il est un camarade joyeux et vivant, capable de facéties, comme cette Porsche offerte à la femme d’un nouveau coéquipier aux Dodgers, qui lui avait offert «son» numéro #17.

Un de ses entraîneurs

«Si Shohei n’aimait aucun de ses managers, est-ce qu’on le saurait? Je ne crois pas!»

On sait pourtant, car Ohtani le clame, ce qu’il veut devenir: «Le plus grand joueur de tous les temps». En restant celui qui fait ce que personne n’ose imaginer faire, cent ans après Babe Ruth ; et en y ajoutant quelques succès de plus. En 2023, après avoir encore été élu MVP de la saison américaine, la victoire du Japon à la World Baseball Classics, face à team USA, a continué de construire sa légende. Opposé à Mike Trout, l’idole américaine à la batte, Ohtani a enchaîné les lancers fuyants pour offrir à son pays, sur le sol américain, un troisième sacre mondial.

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Les Japonais sont champions du monde ! Ohtani, héros du tournoi, laisse exploser sa joie.

Scènes de délire assurées. Lui pouvait célébrer, dans un élan de joie extrême, ce qui est rare, et savourer avec la désormais mythique célébration de l’équipe japonaise, une imitation moulin à poivre.

«C'était rafraîchissant de le voir exprimer ses émotions ouvertement, comme quand il était petit», glisse Kazuo Sasaki à Oshu, un regard surplombant le terrain près de l’eau. Son arrivée aux Dodgers, une équipe ultra compétitive, doit lui permettre de se rapprocher de la récompense américaine suprême désormais, un titre en MLB qui lui échappe encore. L’histoire semble d’ailleurs écrite. Il y a quelques années, la légende disparue du basket, Kobe Bryant, avait glissé un mot à Ohtani.

«Il n'y a pas de meilleur endroit pour gagner que Los Angeles, et il n'y a pas de meilleure équipe avec laquelle gagner que les Dodgers», y écrivait-il. Il faudra seulement supporter le poids des années, de l’entraînement, de la double charge et aussi des blessures, tout ce qui rythme la carrière d’un joueur de baseball. «Mais il se consacre pleinement à ça, et on le découvre tous les jours, expliquait il y a peu le président des Dodgers. Il est à fond dans la moindre petite chose qu'il fait.»

À 18 ans, sur son cahier, Shohei l’avait écrit, prédit, une promesse à lui-même: «La vie ne fait pas les rêves, mais les rêves font la vie. Et moi, je la consacrerai au baseball.»

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